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Acte anormal de gestion : l’abandon de la théorie du risque manifestement excessif avec l’arrêt du CE du 13 juillet 2016

Le 28 septembre 2016
Acte anormal de gestion : l’abandon de la théorie du risque manifestement excessif avec l’arrêt du CE du 13 juillet 2016
Par un arrêt du 13 juillet 2016, le Conseil d’Etat abandonne la théorie du risque manifestement excessif relative...

Par un arrêt du 13 juillet 2016, le Conseil d’Etat abandonne la théorie du risque manifestement excessif relative à l’acte anormal de gestion. Il déclare qu’il n’appartient pas à l’administration fiscale de se prononcer sur l’opportunité des choix de gestion opérés par l’entreprise et notamment sur l’ampleur des risques pris par elle, pour déterminer un acte de gestion comme étant anormal.

 

Cette décision met fin à la jurisprudence constante de l’acte anormal de gestion.

 

L’acte anormal de gestion, une jurisprudence quasi acquise :

 

L’acte anormal de gestion est celui qui met une dépense ou une perte à la charge de l'entreprise, sans que l'acte soit justifié par les intérêts de l'exploitation commerciale (CE SA Renfort Services 27 juillet 1984).

En principe, la gestion de l’entreprise par ses dirigeants est libre, peu importe qu’elle soit bonne ou mauvaise. Le principe est donc celui de la non-immixtion de l’administration fiscale dans la gestion de l’entreprise. L’acte anormal de gestion était alors le seul motif et la seule exception d’immixtion de l’administration fiscale. Cela peu importe les raisons pour lesquelles l’entreprise a agit, ses intérêt ou les risques qu’elle a encouru, elle ne peut le faire que dans le cadre d’une gestion normale.

 

La jurisprudence du Conseil d’Etat était assez constante sur ce principe :

 

Dans l’arrêt Loiseau du 17 octobre 1990, Conseil d’Etat apprécie le risque pris par un gestionnaire de portefeuille comme étant manifestement hors de proportion avec l’intérêt de l’entreprise dont il est le dirigeant, notamment au regard de ses deux premières années d’exercice, qualifiée comme années d’expérience acquise.

 

Un autre arrêt plus récent du 23 janvier 2015, la Haute juridiction administrative déclare qu’ « il n'appartient pas à l'administration de se prononcer sur l'opportunité des choix arrêtés par une entreprise pour sa gestion dès lors que ses choix ne relèvent pas d’une gestion commerciale anormale ».

 

Cette jurisprudence laissait à l’administration fiscale « les pleins pouvoirs » pour s’immiscer dans la gestion de l’entreprise notamment sur le plan fiscal. Elle pouvait alors endosser un véritable rôle de contrôleur de gestion en contradiction avec le principe de non immixtion.

Cela n’était pas forcément favorable à l’entreprise, dans la mesure où parfois elle pouvait être bloquée refusant de prendre certains risques.

                                                                                                     

Pourtant, la prise de risques demeure un concept inévitable en affaire. Et l’opportunité de ces risques doit être appréciée par les dirigeants de l’entreprise. En tout état de cause, les risques et décisions prises par les dirigeants peuvent donner lieu à des provisions destinées à déduire du bénéfice les dettes probables ou les montants probablement non-recouvrés de la société.

 

Les conséquences de l’arrêt du Conseil d’Etat :

 

Dans l’arrêt de Section, en l’espèce publié au Recueil Lebon (Arrêt du 13 juillet 2016), la société anonyme Monte Paschi Banque a consenti avec la société KMX Technologie d’importants concours financiers entre le 31 décembre 2000 et le 3 décembre 2004. Elle a par conséquent constitué des provisions pour risque de non-recouvrement des créances aux titres des exercices clos de 2003 et 2004 au sens des article 38 et 39 du CGI.

 

Cet acte a été désapprouvé par l’administration fiscale qui, suite à un contrôle fiscal, a :

 

-    Réintégré dans le résultat de l’exercice clos en 2004, une somme de 7 560 500 euros correspondant à un fraction fiscale de la provision constituée à hauteur de 11 237 561 euros au motif que la S.A. Monte Paschi Banque n’avait pas agi dans le cadre d’une gestion commerciale normale.

-       Remis en cause le report déficitaire auquel la banque avait procédé au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2005.

-       Rectifié pour ce motif les résultats de l’exercice clos le 31 décembre 2006

 

La S.A. Monte Paschi Banque a demandé au tribunal administratif (TA) de Montreuil « la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contribution additionnelles auxquelles elle a été assujettie au titre de exercices clos en 2005 et 2006 ».

 

         Par un arrêt du 6 octobre 2011, le TA a rejeté sa première demande. Puis par la suite, il a fait partiellement droit à sa deuxième demande dans un arrêt rendu le 6 décembre 2012.

 

La Cour Administrative d’Appel de Versailles a confirmé les deux jugements par un arrêt du 19 décembre 2013.

 

Un pourvoi en cassation est formé devant le Conseil d’Etat contre les deux jugements.

 

Par l’arrêt du 13 juillet 2016, le Conseil d’Etat fait droit à la demande la S.A Monte Paschi Banque d’annuler les décisions des juges du fonds.

 

-       Selon le Conseil d’Etat, « c’est au regard du seul intérêt propre de l’entreprise que l’administration doit apprécier si les opérations litigieuses correspondent à des actes relevant d’une gestion commerciale normale. Il ne lui appartient donc pas de se prononcer sur l’opportunité des choix de gestion opérés par l’entreprise et notamment sur l’ampleur des risques pris par elle pour améliorer ses résultats ».

 

-       Qu’il n’appartenait pas à la Cour de relever si l’ensemble des circonstances en l’espèce devait être regardée comme révélant une prise de risque inconsidérée de la banque. Elle devait seulement rechercher si les décisions en cause étaient conformes à l’intérêt de l’entreprise, sans qu’il y ait lieu de s’interroger sur l’ampleur des risques pris.

 

 

Avec cette décision, le Conseil d’Etat apporte un sérieux encadrement de la notion de l’acte anormale de gestion. Il juge qu’à l'exception du cas de détournements de fonds rendus possibles par le comportement délibéré ou la carence manifeste des dirigeants, il n'appartient pas à l'administration, dans ce cadre, de se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par l'entreprise et notamment pas sur l'ampleur des risques pris par elle pour améliorer ses résultats.

 

Désormais, pour apprécier l’acte anormal de gestion, il faut considérer l’intérêt de l’entreprise concernée. Si elle prend un risque qui apparait excessif mais qui s’analyse être dans son intérêt, l’administration ne pourra pas réintégrer les sommes en jeu sur le fondement de la théorie de l’acte anormal de gestion. . Les entreprises obtiennent plus de liberté quant aux risques à prendre dans leurs intérêts.

 

C’est un pas vers la reconquête du principe de non-immixtion!